Comment concilier les barrages avec la Trame Bleue ?

  • Un peu d’histoire :

Pour commencer, introduisons la notion de grand barrage. Celle-ci se base sur une valeur raisonnable permettant ainsi d’obtenir un outil statistique pour la caractérisation de ceux-ci. Est défini comme tel, tout barrage dont la hauteur dépasse les 15 mètres de haut au dessus des fondations. En France, le premier grand barrage date de 1675. C’est le barrage de Saint-Ferréol, faisant 30 mètres de hauteur et utilisé afin d’alimenter en eau le canal du Midi. A cette époque, il existait en Europe 5 barrages de plus de 20 mètres dont 2 toujours en service de nos jours datant de l’époque romaine.

Il faudra cependant attendre quelques années avant de voir le développement des barrages s’accélérer, développement que nous pouvons diviser selon quatre périodes :

  • Mi-XVIIème à la fin du XVIIIème siècle : la proto-industrie et les lacs de forges ;
  • Les débuts de l’ère industrielle jusqu’en 1850 ;
  • 1850-1890 : l’affirmation des finalités énergétiques ;
  • 1890-1919 : les premiers barrages hydroélectriques.

Tout d’abord, la majorité des barrages avaient pour fonction la création de retenue d’eau, généralement de plus d’un million de mètres cubes, afin de répondre aux besoins de l’activité minière et métallurgique.

Au début de l’ère industrielle, la loi Becquey (1822) favorisait la construction de canaux ; ce qui fut un moteur du développement des barrages afin de répondre aux besoins d’alimentation de ceux-ci. De plus, les premiers barrages dont l’utilité était de fournir en eau une ville furent construits. Ainsi, la finalité énergétique des barrages se combina avec le besoin d’alimenter les canaux et villes en eau.

Après 1850, les ouvrages se multiplièrent en préférant le relèvement des débits d’étiages au profit des usines hydromécaniques. Ces barrages, très souvent à buts multiples, combinaient l’alimentation en eau potable et industrielle.

Par la suite, la construction du barrage poids du Gouffre d’Enfer sur le Furan (1862-1866) en amont de Saint-Etienne eut un retentissement mondial et fut un modèle pendant près de 50 ans. En effet, il battu le record vieux de 250 ans du barrage le plus haut avec 53 m. Cependant, ses vrais points forts se basaient notamment sur les méthodes d’analyse de sa stabilité ainsi que sur la conduite cohérente de tous les corps de métier associés à ce projet. 70 grands barrages furent ainsi construits jusqu’en 1919, sans compter les innombrables petit ouvrages, portant à 95% les plans d’eau créés par ces infrastructures sur tout le territoire de France métropolitaine ; soulignant de ce fait, les importantes modifications anthropologiques apportés à l’environnement.

La période relative à la première guerre mondiale eut comme effet de mettre en évidence la dramatique dépendance énergétique du pays. C’est pourquoi une politique d’indépendance énergétique fut mise en place dès la fin du conflit qui déboucha le 16 octobre 1919 sur une loi sur l’eau, nationalisant l’énergie hydraulique des lacs, marées et cours d’eau.

Enfin, la mise en valeur du potentiel hydroélectrique n’était qu’une des composantes de cette politique qui fut poursuivie de façon cohérente jusqu’à nos jours et dont le programme électro-nucléaire de 1973 ne fut que le dernier avatar. Par la suite, les besoins en électricité s’accroissant, il était nécessaire de régulariser les apports. Ce qui eut pour impact la constitution de réservoirs de taille supérieure et donc un accroissement de la hauteur des barrages, requérant une meilleure maitrise technique dans leur construction. Le développement des barrages voûtes fut une des réponses apportées par les constructeurs à ces demandes, permettant la construction d’ouvrages sur des lieux à fortes contraintes géographiques tout en palliant aux problèmes d’évacuation des crues, d’éloignement des sites des lieux de production, …

  • Usages des barrages et chiffres clefs :

Les différents usages des barrages :

  • Hydroélectricité : jusqu’en 2008, elle représentait 95% de l’apport en énergie renouvelable
  • Alimentation en eau à usages domestiques ou industriels
  • Irrigation et agriculture : répondre au besoin en eau en période sèche
  • Soutien d’étiage : réguler les débits de cours d’eau en période sèche
  • Ecrêtement des crues : protéger en faisant barrière à la crue afin de réduire le débit de la rivière en aval
  • Navigation : généralement de vieux barrages permettant le fonctionnement des canaux en alimentant les biefs de partage (points hauts des canaux)
  • Tourisme : les retenues créées favorisent l’activité touristique autour et sur celles-ci

D’après un inventaire national réalisé par l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema), au début 2010, plus de 60 000 ouvrages (barrages, seuils, moulins) sont recensés sur les cours d’eau en France. Parmi ceux-ci et d’après la base de données du Comité Français des barrages et réservoirs datant de 2003 :

  • 589 grands barrages : dont 60 de plus de 60 m et 15 de plus de 15 m de haut ;
  • 740 barrages de plus de 10 m de haut ;
  • Plus d’une dizaine de barrages de moins de 10 m de haut.
  • La Trame Verte et Bleue (TVB) :

Pour répondre à la directive européenne cadre sur l’eau (DCE) du 23 octobre 2000 qui fixait comme objectifs aux Etats membres d’atteindre le bon état des cours d’eau d’ici 2015, la France, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, créa le Comité opérationnel « Trame verte et bleue » (COMOP). Celui-ci fût chargé en décembre 2007 de définir les voies, moyens et conditions de mise en œuvre de la Trame verte et bleue afin de converger vers la nécessité d’assurer la continuité biologique entre les grands ensembles naturels et dans les milieux aquatiques.

Le bon état écologique est fondé sur l’évaluation de l’état chimique et écologique des cours d’eau. L’état écologique prend d’ailleurs en compte les paramètres physico-chimiques et biologiques du cours d’eau, dont la diversité et l’abondance d’espèces animales, d’invertébrés, de poissons ainsi que la flore présente dans les rivières Françaises.

Cela implique concrètement à mener, dans le cas de la Trame bleue, des actions en faveurs de la restauration de la continuité écologique des cours d’eau. La continuité écologique est définie comme la libre circulation des organismes vivants et leur accès aux zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri ainsi que le bon déroulement du transport naturel des sédiments et le bon fonctionnement des réservoirs biologiques.

La Trame verte et bleue entend donc contribuer à l’amélioration de l’état de conservation des habitats naturels et des espèces et au bon état écologique des masses d’eau. Elle s’applique à l’ensemble du territoire national à l’exception du milieu marin et définit un réseau formé de continuités écologiques terrestres et aquatiques reliant des réservoirs de biodiversité qu’il faut entretenir, rétablir ou protéger. Un exemple est montré dans le schéma ci-contre.

La mission du COMOP, qui a pris fin en septembre 2010, a permis de poser les bases législatives de la TVB et de produire des documents constituant le socle des orientations nationales pour la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques, dont les échelles d’applications sont visibles ci-contre.

  • Trame Bleue et barrages :

La DCE fixait un objectif d’atteinte du bon état écologique des cours d’eau d’ici 2015. L’objectif était ambitieux car dès 2004, un état des lieux avertissait sur le fait qu’environ 50% des masses d’eau superficielles présentaient un risque de non atteinte de bon état des eaux.

Pour cause, la dégradation des conditions géomorphologiques des cours d’eau, souvent due à la fragmentation des cours d’eau par des obstacles altérant la qualité des habitats des différentes espèces aquatiques.

En effet, de la qualité ainsi que de la diversité des habitats dépendent la diversité et l’abondance de la faune et flore. 3 paramètres en interaction permanente régissent les caractéristiques des habitats des cours d’eau et donc leurs qualités :

  • L’hydrologie : le type d’écoulement, les variations de débit ainsi que la quantité d’eau ;
  • Les conditions physico-chimiques de l’eau : température, luminosité, teneur en oxygène, acidité, teneur en polluants, salinité et conductivité ;
  • Les conditions morphologiques : profil des lits mineurs et majeurs, structure des berges, typologie d’eaux (calme, profonde, eaux-vives).

On voit donc en quoi la présence de barrages et plus généralement d’ouvrages peuvent mettre en péril la qualité des habitats. En effet, les eaux courantes se transforment alors en une suite de retenues d’eau stagnante et modifie considérablement la géomorphologie des cours d’eau. D’autre part, l’obstacle entraine l’immobilisation des sédiments à l’amont de celui-ci, créant un déficit à l’aval pouvant modifier la morphologie du lit. Enfin, certaines espèces perdent la mobilité d’accès à leurs habitats ou leurs déplacements se retrouvent limités car les ouvrages créés sont plus ou moins infranchissables.

C’est pourquoi fut mise en vigueur, le 18 janvier 2013, une circulaire relative à l’application des classements de cours d’eau afin de définir des éléments d’interprétation et de méthodologie afin que les différents services en lien avec l’eau définissent des stratégies de préservation et de restauration de la continuité écologique.

Les cours d’eau furent donc classés en 2 listes :

  • Liste 1 (Préserver) : Interdiction de construction de nouvel ouvrage faisant obstacle à la continuité écologique.
  • Liste 2 (Restaurer) : Obligation de mise en conformité des ouvrages au plus tard 5 ans après publication de la liste
  • Solutions pour les ouvrages afin de répondre aux directives de la TVB :

Ainsi pour répondre aux exigences relatives à la liste 1 et 2 de la TVB, le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire proposa des solutions pour agir.

Effacer les ouvrages : solution à préconiser pour tout ouvrage à l’abandon, sans usage ou sans intérêt (économique, paysager, patrimonial). Elle présente de nombreux avantages en termes de rétablissement complet de la continuité écologique mais aussi de par sa simplicité de gestion par la suite.

Abaisser les ouvrages : solution alternative dans le cas où l’ouvrage conserve un certain intérêt.

Ouvrir les vannes : solution lorsque l’ouvrage présente un fort intérêt. L’ouverture peut être temporaire, périodique ou permanente en fonction des objectifs à atteindre.

Installer des dispositifs de franchissement : solution envisageable afin de préserver la migration piscicole mais généralement chère et sélective sur les espèces bénéficiaires.

Ne pas intervenir : difficilement envisageable pour des barrages. Cependant pour certains seuils pouvant s’effondrer naturellement, cette solution peut être mise en place à condition d’être sûr de l’absence de conséquences indésirables ou de palier à celles-ci avec des mesures d’accompagnement.

Dans tous les cas il faudra privilégier une gestion d’ensemble des enjeux liés au projet et de leurs éventuelles conséquences sur l’environnement car chacune de ces solutions possèdes des avantages mais aussi des effets secondaires indésirables. C’est donc le rôle du bureau d’études de hiérarchiser ces solutions tout en mettant en parallèle leurs influences sur l’environnement du projet et de mener une étude globale à une échelle suffisamment importante afin de prendre en compte les éléments susceptibles d’avoir un impact sur les résultats souhaités.

Sources :

Jean-Louis B., (2010). Les barrages en France du XVIIIème à la fin du XXème siècle. Histoire, évolution technique et transmission du savoir. Comité français des barrages et réservoirs [PDF] Disponible à : https://www.barrages-cfbr.eu/IMG/pdf/barrages-jlb.pdf

Pierre M., (2010). Pourquoi rétablir la continuité écologique des cours d’eau ? Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de la Mer ; Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques [PDF] Disponible à : http://www.driee.ile-de-france.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/brochure-continuite_cle058b11-1-2.pdf

Comité français des barrages et réservoirs. Statistiques nationales. [En ligne] Disponible à : https://www.barrages-cfbr.eu/-Statistiques-nationales-.html [Consulté le 24/02/2020]

Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire. Trame Verte et Bleue. Centre de ressources pour la mise en œuvre de la trame verte et bleue. [En ligne] Disponible à : http://www.trameverteetbleue.fr/presentation-tvb/echelles-action [Consulté le 24/02/2020]

AIDA, (mars 2013). Circulaire du 18/01/13 relative à l’application des classements de cours d’eau en vue de leur préservation ou de la restauration de la continuité écologique – article L. 214-17 du code de l’environnement – liste 1 et liste 2. Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire [En ligne] Disponible à : https://aida.ineris.fr/consultation_document/23727 [Consulté le 25/02/2020]